L'Etat: une entreprise comme une autre?

Publié le par BlindBlack

Dans la tourmente. Que fait l'Etat ? Que peut l'Etat ?

Après avoir été mis à contribution pour rétablir la confiance sur les marchés, les Etats sont maintenant appelés à initier de vastes programmes de relance pour soutenir la croissance. Mais cette double intervention de l'Etat dans l'économie traduit-elle un retour au keynesianisme, dessine-t-elle les contours d'un nouveau mode d'action des pouvoirs publics ou va-t-elle amplifier des évolutions déjà en cours dans la construction de nouveaux outils de gouvernement ?

A l'échelle internationale, la crise a donné lieu le 14 novembre à la réunion du G20. Signe d'un élargissement (au-delà du traditionnel G7 des pays les plus développés) de la concertation économique internationale, cette rencontre entérine l'importance économique des pays émergents et tourne définitivement la page de la période d'après-1945 où Américains et Européens pouvaient seuls, ou à peu près, se partager décisions de régulation internationale. La crise financière ne signifie pas la fin de la mondialisation, elle nous plonge au contraire dans sa pleine dimension, qui signifie aussi un nouveau partage des rôles, où les pays émergents vont désormais prendre leur part entière.

A l'échelle nationale, si la crise a rappelé l'utilité des instruments d'intervention à disposition des Etats, le sens du "retour" de l'Etat reste difficile à discerner . Il fait figure de derniers recours quand tout dérape, que les repères des acteurs économiques s'effacent et que la perte de confiance risque d'amplifier tous les accidents en catastrophe générale. Mais, au-delà de l'urgence, quelle doit être la durée, l'ampleur et le périmètre de l'intervention publique ? Doit-elle se limiter au court terme, c'est-à-dire finalement accompagner au mieux les retournements de cycle, au risque d'effacer les responsabilités morales des acteurs défaillants ? Quelles sont les contreparties exigibles des acteurs économiques qui attendent la bouée de secours des contribuables ? Et ne risque-t-on pas de revenir à un interventionnisme très politique, voir affairiste, favorisant le pantouflage et les stratégies aux lisières du privé et du public ?

Pour appréhender un peu mieux ces évolutions à venir, il faut s'arrêter aux tendances lourdes de l'évolution de l'action des Etats. C'est ce que propose ce dossier à travers notamment l'analyse de réformes lancées en France par Nicolas Sarkozy depuis son arrivée à la présidence de la République. L'activisme présidentiel, comme nous avions eu l'occasion de le montrer, n'a peut-être rien de cohérent . Cependant, nombre de réformes qu'il promeut s'incrivent, délibérément ou non, dans des temporalités longues et des choix parfois bipartisans (LOLF), relaient des tendances déjà esquissées avant lui ou s'inscrivent dans de larges dynamiques européennes voire internationales . Certaines découlent de l'observation des limites des dispositifs de l'Etat-providence classique, de la nécessité de la discipline budgétaire, d'autres de nouveaux problèmes sociaux ou de nouvelles attentes des usagers (transparence, accessibilité,…), les dernières enfin de l'application des schémas néolibéraux aux pratiques administratives (New Public Management, révision générale des politiques publiques…).

Revenir à ces tendances longues, c'est aussi constater qu'il n'existe pas un esprit homogène de la réforme mais des tendances contradictoires . On peut au moins en relever quatre : mettre au régime l'Etat employeur et apurer les comptes publics ; adapter l'économie française à la concurrence internationale en stimulant la recherche et les secteurs de pointe ; réaménager les filets de sécurité et les mécanismes de la protection sociale ; redessiner une cohérence de l'action de l'Etat.

Pour chacune de ces questions, on peut en outre se demander de quel acteur public on parle : de l'Etat central ou de ses antennes sur le terrain (Etat local) ? De l'Etat arbitre ou des partenaires sociaux ? Des collectivités locales qui ont pris de nouvelles responsabilités avec l'acte II de la décentralisation ? Ce qui impose de constater, comme le font ici Michel Blondel et Dominique Gaudron, que s'il est utile de distinguer instances délibératives (Etat et collectivités territoriales), instances opérationnelles (Etat encore, collectivités, agences et acteurs privés) et instances régulatrices (Etat toujours et hautes autorités indépendantes), il faut aussi rappeler que toutes n'ont pas le même degré de légitimité démocratique et que les superpositions de niveaux administratifs sont un mal proprement français. Le thème de la réforme est aussi utilisé par les pouvoirs publics de telle sorte que des sujets n'émergent pas : ni les pouvoirs locaux, ni le sénat, par exemple, ne peuvent être mis en cause.

Cependant, sous un paysage institutionnel apparemment immuable (communes, départements, Etat jacobin appuyé sur des grands corps, endogamie de la haute fonction publique, faible promotion de nouvelles élites etc.), des secousses tectoniques ont déjà eu lieu : les intercommunalités se développent, les grandes agglomérations prennent leur autonomie, les régions montent en puissance . Le rapport entre le local et le national se transforme, ce qui touche aussi la fonction publique (avec le développement de la fonction publique territoriale et la contestation des grands corps de l'Etat). Comme le montre ici Gilles Jeannot, on ne peut séparer les transformations du statut et du travail des fonctionnaires de la réorganisation générale de l'Etat. Y a-t-il une ligne directrice au sujet de la fonction publique ? C'est la question qu'il se pose à partir du projet le plus visible, portant sur la rémunération au mérite.
 
La réforme de l'Etat peut-elle s'élaborer en fonction de l'idéal d'un gouvernement rationnel et d'une mobilisation de ses agents ? C'est toute la question de l'évaluation, interrogée ici par Bernard Perret, Michel Cotten et Sylvie Trosa. La réforme de l'Etat a elle-même une longue histoire, qui semble aussi ininterrompue que répétitive, dont Philippe Bezes montre les lignes de force dans la période récente tandis que Michel Casteigts, Dominique Blais, Michel Cotten et Sylvie Trosa se demandent si ce registre de la "réforme" signifie encore quelque chose.

En tous cas, il apparaît que l'Etat n'est pas à proprement parler en "recul" ou "sur la défensive" comme on le dit souvent : plutôt que se désengager, il se réorganise selon de nouvelles logiques, comme le montrent clairement Detlef Sack à propos de l'Allemagne et Joël Roman à propos des associations : l'idée de mise en concurrence devient centrale, au détriment parfois de la garantie des droits. Il faudra y revenir prochainement (dans notre numéro de janvier 2009) à propos des projets de réforme qui portent sur le droit du travail : les questions sociales, avec la récession qui s'annonce, s'imposent dores et déjà parmi les préoccupations majeures des mois qui viennent.

Le discours politique français s'est longtemps contenté de fustiger l'influence anglo-saxonne (Reagan et Thatcher, relayés par nombre d'institions internationales) pour défendre par opposition un Etat républicain à la française. Même si la réforme de l'administration (sous contrôle du budget et le Inspection des Finances) est en cours, l'Etat veut maintenir une forme de tutelle sur la société (d'où l'importance des préfets dans la conception de l'Etat promue par Nicolas Sarkozy). L'Etat républicain ne peut nous abstraire d'un mouvement historique d'interdépendance. Le capitalisme est sorti du modèle fordiste et des protections qui lui étaient attachées.
Le travail, les rapports salariaux, les rapports de force dans les entreprises se redéfinissent dans une économie de l'innovation ouverte et concurrentielle  : comment maintenir l'architecture de l'Etat-providence dans ce nouveau contexte ? L'Etat français, malgré son exceptionnalisme historique, n'est pas plus dispensé qu'un autre de se le demander.

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